Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE SITE NOIR DE LA PSYCHANALYSE
Archives
Derniers commentaires
27 février 2010

Interview

Merci à Mr Jacques Van Rillaer pour l'envoi de cette Interview.

Philosophie magazine, 2010, n° 36, p. 10-15.

L’époque – Débat

En finir avec Freud ?

Soixante-dix ans après sa mort, Freud est toujours source de discorde. Face au philosophe Michel Onfroy, résolu à démonter le mythe, le psychanalyste Jacques-Alain Miller défend l'héritage. Entre l'hédonisme libertaire du premier et le cynisme supérieur du second, il est difficile de choisir le vainqueur. Par Martin Duru et Alexandre Lacroix.

Impossible de ne pas retenir son souffle en pénétrant dans la vaste cour de l’immeuble dans lequel habite Jacques-Alain Miller, à deux pas du Jardin du Luxembourg. Charmant, amusé, un cigarillo à la main, l’éminent psychanalyste nous a reçus chez lui, dans un imposant salon orné de toiles de maîtres, où officiait discrètement une femme de service en tablier noir et blanc. Le fondateur de
l’Association mondiale de psychanalyse a serré la main du fondateur de l'université populaire de Caen. D'un côté, une des intelligences les plus affûtées de Paris, un normalien, agrégé de philosophie, si soucieux de perfectionnisme qu'il n'a toujours pas achevé la publication des séminaires de Lacan, entreprise en 1975, il y a trente-quatre ans... De l'autre, un fils d'ouvrier agricole, qui vit toujours à Argentan où il est né, franc-tireur, volcan d'énergie publiant trois à quatre livres par an. Loin de s'en laisser conter, Michel Onfray s'est installé sur un canapé et s'est lancé dans son réquisitoire contre Freud. Cette année, dans son cours à
l’université populaire, le philosophe a entrepris de déboulonner la statue du père de la psychanalyse, à coups de thèses fracassantes : « La thérapie freudienne n'est pas une technique scientifique, mais un procédé magique », « L'éros freudien ne contribue pas à la libération sexuelle, mais au conformisme bourgeois », « La constellation freudienne ne suppose pas le contrat intellectuel, mais l'affiliation religieuse », etc. Il en fera un livre à paraître en mars chez Grasset :
Le Crépuscule
d’une idole : l'affabulation freudienne
. Face à ces attaques, Jacques-Alain Miller a parfois acquiescé, souri, mais il lui est aussi arrivé de s'empourprer,
d’élever la voix contre ce qui lui semblait des piques trop naïves, une approche de Freud lacunaire. À un moment donné, il est franchement sorti de ses gonds,
a trouvé des accents imprécateurs. Après coup, il a justifié son emportement : « Excusez-moi, ma psychanalyse n'a pas été complètement réussie, j'ai encore des accès de colère. »

Michel Onfray : J'ai commencé à lire Freud assez jeune, vers 13 ou 14 ans, après avoir acheté sur le marché d'Argentan les Trois Essais sur la théorie de la sexualité. Je l'ai découvert à peu près à la même époque que Marx et Nietzsche. Fils d'ouvrier agricole,
j’étais enchanté par le projet marxiste d'abolir le capitalisme.
Pensionnaire d'un établissement religieux, je me délectais de
l’antichristianisme nietzschéen. Quant à Freud, il parlait beaucoup au petit masturbateur que j'étais...

Jacques-Alain Miller : Freud a aidé le jeune Michel Onfray à vivre ses masturbations infantiles !

M. O.: Les problèmes adolescents sont universels.

J.-A. M.: On peut aussi se préoccuper de l’être féminin en général…

M. O.: L'adolescent est un être qui passe son temps à courir après les filles. Comme elles sont plus rapides que lui, il ne lui reste que ses mains : c'est quand même ça, la configuration ontologique de l'adolescent. Freud m'a réconforté, qui affirme que la sexualité est présente dès la plus petite enfance, que c'est là une situation naturelle et saine. En classe de terminale, j'ai lu l’Introduction à la psychanalyse et Totem et tabou. À l'université, j'ai étudié les
Cinq psychanalyses, avec les fameux récits des cures de Freud — Dora, l'Homme aux rats, l'Homme aux loups, le petit Hans, etc. — qui se concluent par des guérisons miraculeuses. Ensuite, j'ai enseigné pendant vingt ans en lycée technique et donné des cours
sur le corpus freudien, dont le complexe d'Œdipe. Je me suis aperçu que cela passionnait bien plus mes élèves que l'impératif catégorique de Kant... Quand on évoque Freud en classe, il y a un moment de grâce : les élèves comprennent qu'il est question de leur père, de leur mère, de leur sexualité. Là, j'ai perçu pour la première fois le pouvoir magique de la psychanalyse. Les élèves me considéraient comme une espèce de gourou détenant la clé de leurs tourments existentiels. Or, ce gourou, je ne voulais pas le devenir, par refus de la position du maître.

J.-A. M.: Lacan appelle ça « l’effet du sujet supposé
savoir
», pouvoir de fascination qui peut se monnayer sous des formes diverses.

M. O.: Monnayer, le terme est bien choisi ! Après avoir démissionné de l'Éducation nationale, j'ai créé l'université populaire de Caen, où je propose une contre-histoire de la philosophie. Ma méthode consiste à tirer de l'oubli des philosophes méconnus ou à développer une lecture nietzschéenne de la pensée des auteurs « célèbres ». Dans la préface du Gai Savoir,
Nietzsche soutient qu'un philosophe est d'abord un homme avec des instincts spécifiques et que sa doctrine, au lieu d'être pure et désintéressée, consiste en un « travestissement inconscient de besoins physiologiques ». Mon projet est d’examiner ces besoins, ces instincts, donc de me livrer à une approche psychobiographique de l’histoire de la philosophie. Dans ce trajet, j’en suis arrivé cette année à Freud qui coupe le XXe siècle en deux. Pour préparer un séminaire d'une année sur lui, je me suis replongé dans sa vie et son œuvre complète. Et je n'ai pas été déçu par ce que j'y ai découvert...

J.-A. M.: Mon itinéraire est différent. Comme vous, j'ai lu Freud précocement, vers 14 ou 15 ans. Je suis entré dans son œuvre par les Cinq psychanalyses, que j'ai dévorées comme un roman d’Agatha Christie. Je voulais savoir comment Freud allait résoudre l'énigme du petit Hans, qui a une peur panique des chevaux... Lorsque j'ai passé mon bac, j’étais beaucoup plus intéressé par la « psychanalyse existentielle » proposée par Sartre dans L’Être et le néant — une psychanalyse sans inconscient, qui maintient l'autonomie du sujet — que par les écrits métapsychologiques de Freud, auxquels je ne comprenais rien. J’essayais, mais ça me semblait... de la bouillie pour chats ! L’Interprétation des rêves m'a séduit davantage, et j’ai tenté d'interpréter mes propres rêves. Je suis entré à l’École normale supérieure et, via
Louis Althusser, qui y enseignait la philosophie, j'y ai entendu parler d'un certain Jacques Lacan. Je me suis procuré son texte
« Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse. Là, c'est le choc, le bouleversement intellectuel majeur de mon existence. Lacan mariait ce que j'aimais chez Sartre — et il y a une empreinte très forte de
la pensée sartrienne sur celle de Lacan — et chez Freud.
J’ai assisté à la première séance de son séminaire sur
« Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse » et, comme il entendait faire retour à Freud, j'ai commencé à relire ce dernier, sans enthousiasme débordant. J'ai épousé la fille de Lacan, Judith, en
1966. A suivi alors pour moi une période de militantisme intense, dans les rangs de la gauche prolétarienne, dont je suis sorti dévasté. Je suis entré en analyse non pour des raisons théoriques, mais pour continuer à exister après. C'est à ce moment, au début des années 1970, que je me suis lancé vraiment dans l’œuvre de Freud. J’ai tout lu, je le relis encore.
Aujourd’hui, je lui consacre des cours et des séminaires.
Ce n'est pas une parole sacrée pour moi, mais un enseignement toujours frais, pertinent, un guide opérant pour la pratique psychanalytique. En tout cas, mon parcours est celui d'un héritier. Vous, vous êtes plutôt un self-made-man, comme Lacan. J'ai de l'estime pour l’énergie des self-made-men.

M. O.: Pour l'instant, je ne touche pas à Lacan. Mon objet, c'est
Freud. Pour réaliser sa psychobiographie, j'ai parcouru la littérature critique, dont Le Livre Noir de la psychanalyse. Je ne souscris pas à toutes les contributions de cet ouvrage, mais il présente des faits accablants. Une légende bien ficelée a été forgée autour de Freud, le personnage et le penseur. Quand on se penche sur l'histoire, de nombreuses idées reçues sur la psychanalyse s'effondrent.

J.-A. M.: Je suis scandalisé qu'un homme tel que vous puisse se référer à ce tissu d'abominations qu'est Le Livre noir... Par ailleurs, votre opposition entre l'histoire et la légende me paraît sommaire.
Vous êtes une créature étrange, un nietzschéen positiviste, qui rend un culte aux soi-disant « faits », à ce que Nietzsche appelait « l’histoire antiquaire ». La psychanalyse apprend à ne pas céder à cette illusion. Les faits bruts n'existent pas, tout est légende depuis le début. Vous-même fabriquez un mythe en narrant votre découverte de Freud sur le marché d'Argentan. Michel Onfray raconté par lui-même... Bien sûr que Freud a donné lieu à une légende ! Et alors ?

M. O.: Si je parle de légende, c’est pour dénoncer le récit enjolivé, truffé de mensonges et d'oublis volontaires des biographes de Freud, Jones en tête. Que Freud ait été cocaïnomane pendant douze ans, qu’il ait rédigé son Esquisse d'une psychologie scientifique sous l'emprise de cette drogue ou qu'il se soit trompé en conférant à la cocaïne des effets thérapeutiques, ce sont des faits bruts. Je ne suis pas là pour juger moralement, je me situe par de-là bien et mal. Je réclame un droit d’inventaire, pour rétablir la vérité sur certains épisodes troublants de la vie de Freud.

J.-A. M.: Vous allez le rendre sympathique, en le décrivant comme accro à la cocaïne... Ce n'est pas un scoop, et ça n'effraie personne.

M. O.: Peut-être, mais les silences de l’historiographie officielle et les clichés sont légion, d’où mon entreprise de démystification.
L'une des principales cartes postales sur la psychanalyse a été écrite par Freud lui-même, lorsqu'il se range du côté de la science.
Il prétend s'inscrire dans la lignée de Copernic et de Darwin, en affirmant que son invention constitue une blessure narcissique infligée à l'humanité. Avec ces revendications, Freud est tout bonnement un homme de son temps, obsédé par le modèle scientifique du XXe siècle. La réalité, c'est que Freud n’a rien d’un scientifique. Son œuvre est une autobiographie spirituelle, littéraire.

J.-A. M.: Je suis d’accord. Freud est enraciné dans son siècle, il fait allégeance au scientisme ambiant, alors que c'est plus un littéraire, un écrivain raffiné. Il n'est pas le scientifique qu’il croit être. Sur ce point, rendons grâce à Lacan d'avoir opéré un déplacement fondamental : pour lui, s'il existe une discipline théorique permettant de conceptualiser l'inconscient — mot très discutable, mais devenu traditionnel —, c'est la linguistique, et non une quelconque science dure. Lacan a trouvé dans la linguistique de
Jakobson, et dans son application à l'anthropologie par Lévi-Strauss, la référence scientifique à laquelle il aspirait.

M. O.: Le XIXe siècle est positiviste, le XXe, structuraliste. Donc
Freud baigne dans le scientisme et Lacan dans la linguistique et l’anthropologie. Soit... À chaque époque, sa mode. Pour en revenir à Freud, ses concepts sont tirés de son histoire personnelle. Prenons le cas du fameux complexe d’Œdipe. Dans sa correspondance avec Fliess, Freud raconte qu'il s'est retrouvé avec sa mère dans des contextes où il n'a pas pu ne pas la voir nue. À partir de ses fantasmes, il extrapole et conclut que tout enfant désire le parent du sexe opposé. Le complexe d’Œdipe est érigé en loi universelle alors qu'il émane du désir infantile d'accouplement du seul
Freud. Freud n'apporte aucune preuve, il ne fait aucune démonstration, il généralise abusivement ses besoins psychosexuels. Où est la science dans tout cela ? Nous ne sommes pas dans l'irréfutabilité du vrai, mais dans une logique performative. Partant d'une expérience individuelle, Freud la pose comme valide en tout temps et en tout lieu, sur le mode « c'est ainsi et pas autrement ». Cette façon de procéder relève du verrouillage sophistique. La psychanalyse fonctionne en vase clos. D'ailleurs, si jamais vous osez la critiquer, qu'est-ce qu'on vous rétorque ? Que vous êtes dans un refoulement névrotique qui explique votre résistance...

J.-A. M.: Lacan le dit lui-même : la psychanalyse a toujours raison, c’est là sa principale faiblesse.

M. O.: On ne peut pas justifier toutes les contradictions avec une pirouette. Freud, qui prétend dire le vrai, n'arrête pas de dire une chose et son contraire. Son corpus n'est pas un continuum doctrinal, mais un capharnaüm.

J.-A. M.: Là, je vous arrête. Il est exact que le corpus de Freud est assez kitsch. Mais depuis quand un penseur est-il censé présenter un « continuum doctrinal » ? Souvent, les philosophes se signalent par l'étendue et la diversité de leurs intérêts, de leurs concepts. Aristote a un avis sur tout, des parties des animaux à
l’art d'embobiner les gens (ce que l'on appelle la rhétorique).
Leibniz : plus bordélique, tu meurs!

M. O.: Il n'y a pas de contradictions internes chez Leibniz ou chez
Hegel.

J.-A. M.: Ah bon ? Et chez Michel Onfray ?

M. O.: Je m'efforce de faire en sorte qu'il n'y en ait pas.

J.-A. M.: Vous avez tort, un corpus n'a pas à être unifié. À cet égard,
Freud produit un effort spéculatif constant, en transformant sans cesse sa pensée, ce qui force l'admiration. Il élabore une première topique du psychisme (avec les trois régions de l'inconscient, du préconscient et de la conscience) et la modifie en créant une seconde topique (avec les trois instances du moi, du surmoi et du ça). Mais ces deux topiques ne sont pas contradictoires. Pourquoi Freud est-il passé de l’une à
l’autre ? Déjà, parce que l'époque avait changé, qu’il y
avait eu

mondiale, qu'il régnait un climat mortifère en Allemagne ; Freud souhaitait accorder une place à la pulsion de mort, aux conflits internes au psychisme humain. Mais pas seulement. Au départ, les cures analytiques avaient des résultats rapides et spectaculaires. Il suffisait de livrer à un patient la clé de
l’Œdipe, c'était si révolutionnaire que cela le métamorphosait. Au fur et à mesure, la nouveauté se dissipait, les cures devenaient plus longues, plus complexes... C'est pourquoi Freud a ressenti la nécessité d'affiner son outil théorique. L’originalité de Lacan, c'est de privilégier la première topique, alors que les psychanalystes américains ne jurent que par la seconde : cette dernière les incite à penser que le but de l’analyse est de regonfler le moi, de renforcer l’ego vis-à-vis du surmoi, de la censure morale, mais aussi du ça, réservoir des pulsions incontrôlables.

M. O.: Là, vous prêchez un convaincu. La seconde topique est un pur produit de

mondiale ; mon approche psychobiographique s'en voit confirmée. Chez Freud, il n'y a pas vraiment de contradiction entre les deux topiques, il a juste changé de métaphore. Les discontinuités dont je parle sont d'un autre ordre. De manière générale, dans toute son œuvre, Freud accumule les postulats infondés, il bâtit une vision du monde qui suppose l’existence d'objets « théoriques » et d'arrières mondes (l’inconscient, le complexe d’Œdipe, les topiques...) censés donner un sens à la psychè et au monde réel. J'appelle cela une démarche religieuse. La psychanalyse est une religion séculaire d'après la religion, une religion postchrétienne... L'histoire du freudisme en constitue le versant institutionnel :

la Cause

psychanalytique est devenue une Église où l'on excommunie les frères en désaccord
(Adler, Jung), où l'on remet des bagues aux fidèles lors de cérémonies officielles, où l’on rédige les évangiles de Freud présenté comme Dieu le Père (l'hagiographie de Jones).

J.-A. M.: Rien ne me choque dans ce que vous dites là. Je ferai juste remarquer que ce n'est pas vraiment Freud qui dit tout et son contraire, mais l'inconscient lui-même ! Par ailleurs, il est vrai que l’Association psychanalytique internationale
(IPA, International Psychoanalytical Association), fondée par Freud en

viré à la bureaucratie religieuse. Lacan en a été exclu et a fondé, en 1964, l’École freudienne de Paris, en référence aux écoles grecques de l’Antiquité. J'ai moi-même créé l'Association mondiale de psychanalyse en 1992, pour combattre la mainmise de l’IPA et diffuser l'enseignement de Lacan.

M. O.: Toute religion induit une structure de domination. La thérapie psychanalytique elle-même implique une relation de servitude que le libertaire que je suis ne peut accepter. Assis derrière le divan, le psychanalyste est ce maître, ce logothérapeute qui prétend guider et soigner par le verbe l’âme de ses patients. Sur la pratique psychanalytique, j'ai découvert des textes édifiants de Freud, notamment sur le thème de l'attention flottante : l'idée selon laquelle l'analyste pourrait dormir et le patient continuer à parler... Dans ses lettres à Fliess, Freud confie qu'il lui est arrivé de s'endormir lors de la cure d'un patient ! Il écrit que ce ne sont pas les oreilles du psychanalyste qui écoutent, mais les inconscients qui communiquent.

J.-A. M.: Vous allez réussir à m'énerver ! « L’attention flottante », c'est une mauvaise traduction. Le sens exact du terme allemand employé par Freud est attention égale. Ce concept signifie que l'analyste porte la même attention à tout ce que dit le patient, qui a tendance à accorder une plus grande valeur à certains mots ou à certains actes de langage. Donc le psychanalyste écoute tout et s'intéresse aux éléments apparemment mineurs du discours, lapsus, interruptions. Apprenez à maîtriser votre vocabulaire freudien ! Et puis, jusqu'à preuve du contraire, la cure suppose une part de consentement de la part du sujet, la soumission n'est pas si totale.

M. O.: Oui, l'analyste fournit le billet de train, mais c'est au patient d’effectuer le voyage. Ça ne marche que si vous voulez que ça marche... Le procédé est vieux comme le monde : le psychanalyste est un sorcier, un shaman qui s'appuie sur les croyances établies quant à son pouvoir. Le cabinet fleure bon l'encens. La cure psychanalytique illustre une branche de la pensée magique — sachant que j'ai un grand respect pour celle-ci —, matrice des pensées rationnelles. Là encore, je souhaite déboulonner une idée reçue : la thérapie freudienne n'est nullement une technique scientifique qui guérit automatiquement les psychopathologies. Elle fonctionne sur le principe de l'effet placebo.

J.-A. M.: Sur la thérapie comme procédé magique, la question se pose, je vous le concède. Lacan a tenté de différencier la psychanalyse et la magie, sans vraiment y parvenir, de son propre aveu. Mais cela ne règle aucunement son compte à la psychanalyse. Il reste à savoir comment cela opère, la magie. Pour moi, elle procède par suggestion, par la médiation des mots, du langage.
Rien de plus puissant que le signifiant sur le psychique et le somatique. L’analyse — la cure par la parole — utilise précisément cette magie, mais pour la retourner contre elle-même. Elle purge le patient des sortilèges du langage, qui se trament dès qu'on lui parle ou qu'on parle de lui. Elle l'immunise contre l'intimidation intellectuelle exercée par les gourous et les orateurs à la mode.

M. O.: En tant que discipline et pratique, la psychanalyse bénéficie d'une aura émancipatrice : elle libère, soigne. Sur le plan des idées, on estime qu'elle prolonge la philosophie des Lumières, qu'elle représente un nouveau progrès dans l'essor de la rationalité critique. La légende est belle, optimiste, mais Freud est en réalité un antiphilosophe, un antimoderne. Sa morale est fondée sur un profond pessimisme, qui apparaît dans des œuvres désespérées, tragiques et en même temps lucides comme L’Avenir d'une illusion ou
Le Malaise dans la civilisation — où la culture est décryptée comme un processus de répression des instincts élémentaires. Sur le plan des mœurs, l'éros freudien ne contribue pas à la libération sexuelle, mais au conformisme bourgeois et au refoulement de la chair. La masturbation fait l'objet d'une condamnation morale, car, dit-on, elle se rapporte à une sexualité sans autrui, narcissique. En 1910, Freud utilise encore des sondes qu’il fait entrer dans la verge des onanistes pour les guérir de ce prétendu mal... Sa théorie en matière de sexualité énonce que l'être humain se développe jusqu'à trouver dans le sexe opposé l’objet de fixation adéquat à sa libido. Les homosexuels, quant à eux, ne parviendraient pas au terme de cette évolution ; ils seraient inaccomplis... Même s'il a signé une pétition en faveur de la décriminalisation des homosexuels, même s'il exprime publiquement qu'ils ne sont pas des anormaux, il y a une homophobie ontologique chez Freud. La femme est également pour lui un garçon inachevé. Misogynie et phallocratie, un tableau très libéral !

J.-A. M.: Certainement, Freud est pessimiste : il termine sa vie au moment même où l'Autriche se donne à l'Allemagne et à un petit caporal au verbe enchanteur et meurtrier. Et oui, il est autoritaire et conservateur. Il n’aime guère la démocratie à l’américaine et le règne du marché. Il préfère la figure politique de François-Joseph, l’empereur d’Autriche, mort en 1916. Quant à sa morale, elle se dégage de sa forme de vie : une vie de travail acharné, d'ambition, assez étriquée sur le plan sexuel, qu'il ait ou non couché avec sa belle-sœur (ce que je lui souhaite)... Les psychanalystes américains pousseront très loin la veine puritaine, froide et formelle, en s'habillant toujours avec la même veste et en refusant de rencontrer leurs patients en dehors des séances. Une fois de plus, Lacan dynamite tout cela.
Sa morale relève d'un cynisme supérieur. Sa pensée bouscule le schéma freudien du développement psychosexuel, trop rigide. Avec sa formule « Il n'y a pas de rapport sexuel », Lacan ne veut pas dire, bien sûr, que les relations sexuelles n'arrivent jamais ; mais le langage fait que chez l'être humain, à la différence des animaux, il n'existe pas d'appropriation nécessaire, de destination d'un sexe pour l'autre. Le garçon n’est pas voué à la fille. Chacun construit, choisit son mode de jouissance et son usage du sexe (solitaire, hétéro ou homosexuel).
La morale lacanienne est une morale de l'invention de soi, de la singularité. Trouvez votre singularité, la voie de votre désir et assumez-en les conséquences. Car tout ce qu'on dit et fait se paie.

M. O.: Mon propos reste Freud. Lacan, on verra plus tard, peut-être..

J.-A. M.: Quand Michel Onfray va rencontrer le larron Lacan...
Mais je voudrais conclure cette rencontre par une annonce. Je viens de créer officiellement l'université populaire de psychanalyse Jacques-Lacan, pour (re-)prendre en charge l'éducation freudienne du public français et, à terme, en l'étendant sur tous les continents, pour développer une humanité analysante. Que vous ayez remis au goût du jour cette expression d’« université populaire » est un des éléments qui m'ont amené à lancer ce projet, je vous en suis donc reconnaissant.

M. O.: Eh bien... Après m'être battu pendant dix ans pour mettre sur pied mon université populaire, après avoir été d'abord superbement ignoré par les intellectuels parisiens pour cette démarche, disons que j'accueille cette nouvelle comme un genre d’hommage.

1910, a

la Première Guerre

la Première Guerre

Publicité
Commentaires
Publicité
LE SITE NOIR DE LA PSYCHANALYSE
  • Ce site vise a communiquer les diverses informations relatives à la psychanalyse. Il est un support pour ceux qui, éloignés du domaine de la psychologie, sont trop souvent également les victimes de ses légendes.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité